Métaphysique de la bénédiction : les angles morts de Fiducia Supplicans

Certains mystères ont un goût de whisky sec… et rien n’est plus éreintant qu’une gueule de bois théologique. 

Prenant de cours le monde entier, le 18 décembre 2023, notre Pape François vient à nouveau de prendre une décision explosive : par l’intermédiaire de son Dicastère pour la Doctrine de la Foi, il autorise désormais la possibilité de bénir des couples de même sexe ou des divorcés remariés, hors cadre liturgique. L’objet en cause : la déclaration Vaticane Fiducia Supplicans.

Reconnaissons pour commencer ce qui nous paraît pertinent dans cette note officielle : à très juste titre, il est rappelé que la dernière image de Jésus sur la terre, ce sont ses mains levées, en train de bénir. Quand donc ? Lorsqu’il bénit les onze, avant de retourner au ciel. Nous l’oublions trop souvent. Il en retourne que la bénédiction est d’une certaine manière le dernier mot terrestre du Christ ressuscité. Un geste qui pèse trop peu dans nos réflexions spirituelles ordinaires. Aussi, le texte du Dicastère précise justement :

« Dans la continuité de l’Ancien Testament, la bénédiction en Jésus n’est pas seulement ascendante, se référant au Père, mais aussi descendante, répandue sur les autres comme un geste de grâce, de protection et de bonté. Jésus lui-même a mis en œuvre et encouragé cette pratique. Par exemple, il bénit les enfants : « Il les embrassait et les bénissait en leur imposant les mains » (Mc 10,16). » (Fiducia Supplicans, 18)

Il existe un continent théologique sous la question de la bénédiction. Un continent que nous avons trop peu investi, et que Fiducia Supplicans rappelle à nos souvenirs défaillants. Enfin, nous pourrions aussi saluer une volonté courageuse d’avancer sur l’éternelle question des divorcés remariés, qui harasse l’Eglise depuis des décennies. Or, la décision qui a été prise assortie de sa justification officielle ont déclenché les foudres d’une réaction mondiale. Si Fiducia Supplicans était fiévreusement attendue par les épiscopats belges et allemands, elle a provoqué un véritable séisme à l’intérieur du corps de l’Eglise catholique universelle. Certains parlent déjà de risques de schismes, d’autres de fractures nouvelles et difficilement réparables entre l’Eglise d’Europe et celle des pays du Sud.  

Des conséquences incontrôlées commencent déjà à se manifester ici ou là en Europe et en Afrique (où Le Monde parle de « défiance quasi généralisée ») : 

-Dès les premiers jours de la diffusion du document, l’archevêque de Kinshasa pointe « l’ambiguïté » et les « manipulations » de la note romaine. 

-Au Malawi, deux tiers des évêques signent en quelques jours une déclaration commune refusant fermement de pratiquer ces bénédictions. 

-De son côté, le haut clergé du Cameroun a même « formellement interdit » à ses prêtres toute bénédiction de couples homosexuels. Il est d’ailleurs à craindre une flambée de violence explosive contre les concernés, à tout le moins un climat de suspicion renforcé contre toute personne homosexuelle. 

-le 2 janvier 2024, l’association SOS Homophobie dénonce vigoureusement les propos de l’évêque de Bayonne, lequel venait de réagir négativement à l’autorisation nouvelle des bénédictions. Mgr Aillet avait notamment déclaré : « accorder une bénédiction à un “couple” homosexuel, non plus seulement à deux personnes individuelles, semble cautionner par le fait même l’activité homosexuelle qui les relie, même si, encore une fois, on précise bien que cette union ne peut pas être assimilée au mariage. »

Très vite, la polémique enfle et se déporte alors sur la question des thérapies de conversion… 

-deux jours plus tard, les neufs évêques de la province ecclésiastique de Rennes demandent expressément à leurs prêtres et diacres de bénir les personnes individuellement, et non les couples en situation irrégulière ou de même sexe. Prudents, ils rappellent que la déclaration pose le principe de la « possibilité » de la bénédiction des couples de même sexe, et non l’obligation de le faire.

Face au vaste tôlé qu’a suscité Fiducia Supplicans, il semble que le Vatican ait arrondi certains angles en dépêchant le cardinal Victor Manuel Fernandez pour préciser certains points en un sens plus apaisé :

« La véritable nouveauté de cette déclaration, celle qui demande un effort généreux de réception et dont personne ne devrait se déclarer exclu, n’est pas la possibilité de bénir des couples en situation irrégulière. C’est l’invitation à distinguer deux formes différentes de bénédictions: «liturgique ou ritualisée» et «spontanée ou pastorale» »

Puis :

« (…) ce type de bénédictions sont de simples canaux pastoraux qui aident les personnes à manifester leur foi, même si elles sont de grands pécheurs. Par conséquent, en donnant cette bénédiction à deux personnes qui s’approchent spontanément pour l’implorer, nous ne les consacrons pas, nous ne les félicitons pas et nous n’approuvons pas ce type d’union. En réalité, il en va de même lorsque nous bénissons des individus, car l’individu qui demande une bénédiction -et non pas l’absolution- peut être un grand pécheur, mais nous ne lui refusons pas, pour ce motif, ce geste paternel au milieu de sa lutte pour survivre. » 

Ces mots auront peu de poids. Ils n’enlèveront pas l’aspect troublant que les épiscopats africains ont dénoncé les premiers (parfois avec excès) : une déclaration rompant avec certains points de la Tradition, quelles que soient les justifications dialectiques apportées.

Entrons, si vous le voulez bien, dans la chair du texte.

Bien que l’envie soit grande de dénoncer ici une certaine forme de jésuitisme (« je bénis ce couple, mais attention, pas leur union ! »), nous devons reconnaître les précisions pour ce qu’elles sont. La pensée théologique médiévale nous a transmis suffisamment de types différents de grâce, d’humilité ou d’amour pour que nous soyons soudain effarouchés par la distinction entre deux types de bénédictions. Ce qui ne laisse pas d’être fâcheux, néanmoins, c’est le « précédent » que pose cette décision romaine : désormais, il sera peut-être plus légitime à un couple homosexuel de prétendre que l’Eglise les discrimine officiellement, puisqu’un régime de bénédictions à deux vitesses est instauré : les bénédictions au plein sens du terme, pour les couples hétérosexuels, et les bénédictions de second ordre pour les chrétiens de seconde zone, à savoir les homosexuels et les divorcés remariés. Nous ne pouvons nier que cet argumentaire sera très vite utilisé contre l’Eglise, comme une preuve supplémentaire et décisive de son hypocrisie foncière. Aussi ajouterai-je qu’il sera dès lors bien difficile de donner tort à ces plaignants. 

Sous d’autres angles, la situation est même pire pour l’Eglise : comment ne pas voir en ces nouvelles bénédictions un cran supplémentaire franchi vers une acceptation contrainte des mariages homosexuels par l’Eglise ? Contrairement au narratif sécurisant du dicastère pour la Doctrine de la foi, tout semble montrer que cette décision vaticane est une concession stratégique aux voix du progressisme, afin de gagner un peu de temps sur l’époque ; afin de démontrer que l’Eglise ne reste pas immobile sur la question des droits des minorités. En d’autres termes, et cela pourrait être perçu à bon droit comme insultant, on lâche un peu de lest pour éviter d’être confrontés frontalement à la grande mise en demeure : « Ô catholiques, reconnaissez le mariage homosexuel ou assumez votre passéisme inhumain ». C’est évidemment la vibration de cette panique que l’on perçoit en pointillés sous Fiducia Supplicans. 

Certains diront peut-être que ces nouvelles bénédictions pastorales constituent un prolongement pervers de la logique « ce ne sont pas les personnes homosexuelles mais leurs actes qui sont condamnables ; nous ne sommes pas contre elles mais contre leur péché ». Comment leur donner tort ? Il s’agit effectivement du même type de distinction morale : « Nous soutenons les personnes en les bénissant, mais pas ce qu’elles décident entre elles. C’est leur besoin de miséricorde qui les mène à nous et auquel nous répondons. » Avec ces nouvelles bénédictions, vraiment, le refus de la célébration d’unions homosexuelles va devenir intellectuellement quasiment intenable. A moins de ressources argumentatives extrêmement subtiles, il sera désormais très difficile à un homme d’Eglise d’expliquer le NON de l’Eglise aux mariages de couples de même sexe. De fait, on leur opposera Fiducia Supplicans, et la possibilité de bénir deux personnes de même sexe qui se présentent en tant que couple à un prêtre… quoi qu’en précise l’Eglise. Au fond, ce qui gêne dans Fiducia Supplicans, c’est peut-être aussi l’incroyable aveuglement volontaire que ces bénédictions pastorales imposeront aux clercs : si l’acte génital entre deux personnes de même sexe constitue officiellement un péché, comment faudra-t-il se comporter devant deux personnes qu’il conviendra de bénir tout en sachant pertinemment ce qu’elles ont choisi de vivre contre la Parole de Dieu et la doctrine officielle de l’Eglise ? Combien assortiront leur bénédiction d’une réflexion sévère sur le choix de vie du couple en question, puisque ce choix de vie est officiellement répréhensible et condamné par l’Eglise ? De fait, il conviendra de « fermer les yeux », et c’est humain. Comment faire autrement, serai-je tenté d’ajouter : avec Fiducia Supplicans, l’Eglise mettra beaucoup de prêtres en situation délicate face à la franchise de leurs actes.    

Au vu des évolutions sociétales fulgurantes et de la situation de plus en plus douloureuse dans laquelle vivent la plupart des ménages modernes, une nouvelle question pourrait se poser : les prêtres doivent-ils toujours, forcément, bénir les unions et les couples, quelle que soit leur situation de vie (concubinage, couple libre mais plus ou moins addict, couple hétéro immature, couple homosexuel actif, couple homosensible, etc ?) J’entends déjà les cris d’orfraie… Mais les amis, n’est-il pas primordial, chez tout prêtre enrôlé, de faire entrer en ligne de compte la matérialité du projet visé par tous ces couples en question ? Quelle valeur pourrait avoir une bénédiction qui serait obligeamment automatique ? On nous objectera que Fiducia Supplicans demande aux prêtres un discernement adapté à chaque cas. On sait ce qu’il en sera dans les faits.

Le nouvel arc-en-ciel des mille et une situations maritales, de concubinages, et d’associations plus ou moins sentimentales requiert-il du prêtre un service de caisse-enregistreuse ? Ma pauvre conscience me fait penser que non. Certes, l’Eglise ne saurait, sans renier son saint ministère, écarter de ses dons et de sa protection le moindre frère humain, quel qu’il soit. En revanche il est curieux d’exiger, avec une impatience de client, la livraison d’un service qui coïnciderait forcément à l’état des lieux de notre couple… 

« Bénissez-nous, mon père, car c’est la loi ». Belle réplique pour un film d’Audiard ! La requête morale est désormais bien ancrée du côté des tourtereaux de tous plumages, et non plus du prêtre, qui se trouve désormais écrasé entre deux instances supérieures : l’exigence commune, dernière version en date de la Common decency… et la vigilance de l’Eglise institutionnelle, missionnée précisément pour réguler ce qui doit l’être en matière de sentiments religieux.  

On pouvait le craindre, et naturellement, c’est arrivé très vite : à peine la note du Vatican émise, des associations militantes sont montées au créneau pour manifester sur un ton mi-figue mi-raisin leur aigreur : certes, cette annonce constituerait une certaine avancée, mais la doctrine vis-à-vis des homosexuels en reste au point mort : « Si ce changement est bienvenu, cela ne rassurera pas les catholiques qui se voient sans cesse rappelés à leur état de péché » (Tribune collective, Le Monde, 28 décembre 2023)

Quel que soit l’angle qu’on prenne en compte, il semble que Fiducia Supplicans pose question : le secours réel qu’elle apporte en faveur de la considération de la personne homosexuelle est immédiatement sectionné par les revers polémiques induits : la décision sent l’agenda, l’os à ronger, le jésuitisme, l’arbitrage maladroit. Si la bénédiction est indiscutablement offerte à quiconque, qu’il soit hétéro ou homosensible, l’ouverture d’une possibilité de bénédiction adressée à des couples non « réglementaires », précisément pour les sortir de leurs insuffisances morales, relèverait d’une extrême contradiction : on pourrait presque y voir, au bout de la philosophie du texte, une bénédiction visant à délier charnellement le couple qui la requiert. Une ségrégation réelle contre les personnes homosexuelles pourra dès lors être pointée, alors même que le Vatican souhaitait, avec cette déclaration, prouver le contraire aux yeux du monde. 

Déjà, nombre de catholiques s’interrogent : par quel miracle la doctrine catholique vient-elle de changer ? Quelles que soient les assurances de continuité doctrinale martelées par le nouveau préfet pour la Doctrine de la Foi, il n’empêche que tous ses prédécesseurs avaient refusé la possibilité de bénédiction pour des couples jugés irréguliers. Or, c’est précisément quelques mois suite à sa nomination le 1er juillet 2023, que Mgr Víctor Manuel Fernández émet ce document. En d’autres termes, ce que le cardinal Luis Francisco Ladaria Ferrer n’a jamais pu faire, le nouveau préfet, l’évêque Víctor Manuel Fernández pourrait soudain l’accomplir : d’où cet étrange parfum de miracle, qui coïncide providentiellement à l’agenda politique de François. D’où, enfin, cette question dérangeante : n’y aurait-il pas là un certain arrangement idéologique au détriment du bien des âmes ? Laissons ce point en suspens, puisque nous serions bien en peine de l’éclairer. Simplement, remarquons qu’il serait grand temps pour l’Eglise de se rendre plus indépendante face aux pressions réactionnaires ou progressistes qui s’accumulent contre elle et en elle. Qu’on se le dise, la politique du « en même temps » ne sera jamais une théophanie. En revanche, l’Évangile nous éclairera toujours :

« Que votre parole soit oui, oui, non, non ; ce qu’on y ajoute vient du malin. » (Mat. 5,37)

Gardons à l’esprit ce sévère avertissement, sans pour autant sombrer dans le vertige paranoïaque. Ce que nos Écritures nous rappellent, c’est qu’on ne joue pas avec les âmes, quel qu’en soit le motif ou la bonne intention. L’Eglise n’a pas tous les pouvoirs sur cette terre, elle devrait se garder de toute tentation d’hubris : toute personne, qu’elle soit hétéro ou homosensible est le reflet de l’image de Dieu, sainte à ce titre. C’est à ce titre qu’elle peut bénir chacun individuellement, ou les couples selon la tradition multiséculaire de la Bible. 

Ne soyons pas dupes : ce texte permettra à de nombreux prélats et prêtres d’accomplir plus aisément les petites libertés qu’ils prennent déjà avec la règle. Nous l’avons vu avec l’ouverture prophétique de Vatican II, dont la réception par les clergés nationaux fut grevée d’excès interprétatifs très dommageables. Toutes proportions gardées, il se produira la même chose avec Fiducia Supplicans. 

J’en terminerai par une petite anecdote personnelle : un jour, lors d’une conférence, un monsieur m’a demandé s’il existait un lobby LGBT au Vatican. J’avoue avoir été pris de cours, et je me souviens avoir répondu que je n’en savais rien, bien qu’effectivement le Pape Benoît XVI avait lui-même évoqué l’existence de ce lobby. Aujourd’hui, en reconsidérant cette énigme, je dois bien reconnaître que je ne suis plus aussi sûr de mon incertitude : il existe manifestement des groupes de pression LGBT non seulement hors, mais aussi à l’intérieur du Vatican. L’ennui étant que l’agenda de ces personnes privilégie des impératifs sociétaux au détriment du primat spirituel. Or, c’est bien à ce primat que l’Eglise est chargée de se référer toujours, sans pour autant fermer son poing devant l’infinie diversité de ses enfants.  

Le salut des âmes intéresse-t-il encore quelqu’un ? 

Publié par gaetanpoisson

Ancien séminariste, conférencier. Théologie catholique / Question de l'homosexualité au-delà de la rhétorique LGBTQI+

2 commentaires sur « Métaphysique de la bénédiction : les angles morts de Fiducia Supplicans »

  1. Fiducia supplicans
    Tuesday, January 9, 2024
    Concernant la Déclaration « Fiducia supplicans » il était légitime que des voix s’élèvent pour demander des éclaircissements même si nombreuses sont aussi les voix qui exprimaient un désaccord profond.
    Le premier est celui de l’opportunité de sa publication le 18 décembre en pleine octave précédant la solennité de Noël. Le calendrier n’était sans doute pas le plus adapté !
    J’ai la nette impression que l’« on … s’est embourbé… ». Je ne parle pas ici des nombreux commentaires plus ou moins pertinents qui ont saturé les réseaux mais de la Déclaration elle-même qui est un document officiel de l’Église publié par le dicastère pour la Doctrine de la foi avec la signature du pape François.
    On ne pouvait pas laisser passer sans réagir cette Déclaration, surtout pour accentuer le positionnement juste – cependant insuffisant – en face de tous ceux qui ont voulu croire à un changement dans la doctrine. La justesse, et par là j’entends les termes de la Déclaration initiale et les précisions sur le document pour insister sur la doctrine sur le mariage qui ne change pas.
    Dont acte.
    Mais « Le salut des âmes intéresse-t-il encore quelqu’un ? »
    Ainsi avez-vous conclu votre article « Métaphysique de la bénédiction : les angles morts de Fiducia Supplicans »
    J’ai lu avec beaucoup d’attention cet article et j’avoue qu’il m’a fallu attendre la fin pour m’y retrouver ou plus exactement pour trouver le fil directeur.
    Même si votre blog a sa signature « le témoignage d’un homo qui défend l’Église » je crois avoir compris que vous n’avez pas centré votre article sur la seule question des personnes homosexuelles face à la Déclaration.
    J’avance pas à pas dans la lecture.
    Vous dites « Il existe un continent théologique sous la question de la bénédiction ». Et il est juste que l’on sache bien de quoi on parle. Un continent, certes, qui reste largement inexploré mais sur lequel l’Église a posé des jalons. En effet comme vous le dîtes en introduction la bénédiction est le dernier acte terrestre de Jésus-Christ ressuscité.
    Je ne suis pas convaincu que la Déclaration soit un progrès dans l’exploration de cette prétendue « terra incognita ».
    « L’archevêque de Kinshasa pointe « l’ambiguïté » et les « manipulations » : concernant les réactions en Afrique, on peut les comprendre dans des pays où l’homosexualité n’est pas du tout perçue comme en occident et notamment en dehors de l’Église surtout dans les pays les moins christianisés où elle peut exacerber les tensions. Les chrétiens d’Afrique n’avaient pas besoin qu’on allume ce nouveau feu alors qu’ils sont suffisamment persécutés.
    « L’association SOS Homophobie dénonce vigoureusement les propos de l’évêque de Bayonne » : cette dénonciation est un vice de forme parce que l’association a assimilé la conversion que, comme c’est son devoir de pasteur, Mgr Aillet demande, à une thérapie de conversion. Vous l’avez bien souligné.
    « Dans la chair du texte … une certaine forme de jésuitisme » : il ne s’agit pas pour moi de « jésuitisme » mais simplement de vraie qualification morale des actes humains. Qualifier comme on le fait souvent depuis les anciennes polémiques théologiques certaines discussions de « querelles jésuitiques » est une manière commode de sauter allègrement sur les vraies questions et de shunter les bonnes réponses. Ici il ne s’agit pas de jésuitisme … sauf pour ceux que cela arrange pour valider la contestation.
    « Au vu des évolutions sociétales » : pour commencer l’Église est-elle tenue de s’aligner sur ces évolutions ? Cela étant la question est complexe. Soyons un peu cohérents : combien de mariages religieux célébrés dans l’Église catholique sont réellement valides sous l’angle moral parce que la situation des époux n’est pas en accord avec ce qu’elle demande ? Ce n’est pas une banale formule. Je tiens l’observation d’un prêtre canoniste qui a pendant de longues années exercé la fonction de juge dans un Tribunal ecclésiastique appelé à sanctionner la validité d’un mariage dans le cadre d’une demande d’annulation. Ne soyons pas naïfs, sans entrer dans le domaine de la conscience où il est impossible d’entrer, de nombreux mariages ne sont pas valides au moment même de la célébration, mais les époux eux-mêmes n’en sont pas conscients soit par manque de formation suffisante soit parce qu’ils ne sont pas disposés à mettre leur conscience en règle avec les conditions que le sacrement exige.
    « Le secours réel que la Déclaration Fiducia supplicans apporte en faveur de la considération de la personne homosexuelle est immédiatement sectionné par les revers polémiques induits » : j’avoue d’emblée que ce paragraphe reste abscons pour moi et je ne vois pas bien l’idée qui s’en dégage. D’ailleurs, justement, cette déclaration était-elle justifiée et in fine, selon moi, elle ne résout rien et au contraire entretient encore plus les confusions. Votre position en tant que « personne homosexuelle qui défend l’Église » peut-elle donner un éclairage positif sur la question ? … Je vous la pose.
    « Par quel miracle la doctrine catholique vient-elle de changer ? » : la doctrine catholique ne change pas au gré des revendications sociétales ! La doctrine catholique ne s’exerce pas à coups de miracles.
    « Cette question dérangeante : n’y aurait-il pas là un certain arrangement idéologique au détriment du bien des âmes ? » : Cette question en pose aussitôt une autre : que pensez-vous réellement sur ce sujet ? Vous avez conclu vous-même : « Le salut des âmes intéresse-il encore quelqu’un ? »
    « Il serait grand temps pour l’Église de se rendre plus indépendante face aux pressions réactionnaires ou progressistes qui s’accumulent contre elle et en elle. » : ne pensez-vous pas que l’Église par cette déclaration s’est tiré une balle dans le pied !
    « L’Église n’a pas tous les pouvoirs sur cette terre, elle devrait se garder de toute tentation d’hubris » : non l’Église n’a pas tous les pouvoirs. Dans le contexte de la Déclaration il ne s’agit pas d’une revendication d’un pouvoir quelconque. L’Église n’a que le pouvoir que Jésus-Christ a déposé entre les mains des apôtres, de son vicaire et in fine de chacun de nous qui est le pouvoir de répondre oui ou non aux exigences évangéliques.
    « Toute personne, qu’elle soit hétéro ou homosensible est le reflet de l’image de Dieu, sainte à ce titre » : Dieu n’a pas renié son image inscrite dans l’homme à la création. « Nous rappelons le texte du dernier Concile où on déclare que l’homme est l’unique créature dans le monde visible que Dieu ait voulue « pour elle-même » en ajoutant que l’homme ne peut pas « se retrouver pleinement si ce n’est à travers un don sincère de lui-même » -Jean Paul II Audience générale 16 janvier 1980 (cf. Gaudium et spes, 24, 3)- mais c’est l’homme qui l’a altérée. L’image de Dieu inscrite dans tout homme reste mais n’en faisons pas une caricature, ni une mauvaise copie ! Celui qui a changé les choses, c’est l’homme, pas Dieu.
    « Un jour, lors d’une conférence, un monsieur m’a demandé s’il existait un lobby LGBT au Vatican » : in fine c’est la seule chose que je retiens de votre article qui me confirmerait que vous êtes bien toujours dans l’Église de coeur et d’esprit. Une métaphysique avec des angles morts ? Qui a décidé de poser sur l’Église ce panneau de signalisation « Attention angles morts » comme on les voit aujourd’hui sur tous les poids lourds ?
    Vous avez raison : « Le salut des âmes intéresse-il encore quelqu’un ? » That is the question ?

    Et pour terminer une simple remarque : l’Église n’a pas une doctrine sur l’homosexualité mais sur la sexualité qui concerne l’être humain en tant que personne. Par extension elle a une doctrine sur tous les aspects qui concerne la sexualité dont la ligne est celle que Dieu a voulue pour tous les hommes et confirmée par l’enseignement de Jésus dans l’Évangile.

    Ma conclusion : cette Déclaration a, c’est un avis personnel, rendu encore plus illisible la parole de l’Église sur ce sujet et entretenu une grande confusion.
    Vous les connaissez sans doute : les mises au point les plus pertinentes sont celles qui ont commenté la Déclaration et rappelé la doctrine inchangée de l’Église sur ce sujet.
    Le cardinal Sarah a aussi bien compris que cette Déclaration s’inscrit dans la suite du dernier Synode et que ça ne va pas dans le bon sens. Elle est bien plus qu’intéressante, elle dit des choses essentielles.
    L’autre éclairage est celui de Mgr Aillet.

    PS : j’avais lu votre premier livre « L’homosexualité au risque de la foi ». J’en ai tiré une recension personnelle qu’à l’occasion je vous enverrais car il suscité de ma part de nombreuses remarques… Soyez rassuré : elles sont positives ou neutres.

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